dimanche 17 mai 2015

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Les miraculés de Vounetz

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Le baptême de l’air des frères René et Marcel  Borcard n’a duré que quelques minutes ce 19 août 1962. L’avion dont ils étaient les passagers s’écrasait sur le tout neuf restaurant de Vounetz, devant une assistance médusée.

PAR JEAN-BERNARD REPOND
René Borcard est bien placé pour savoir que la vie ne tient qu’à un fil. S’il en savoure encore aujourd’hui chaque instant avec un si bel appétit, c’est peut-être parce qu’il a pris conscience en une circonstance qui aurait pu être tragique que son parcours terrestre avait bien failli tourner court. Il était, avec son frère cadet Marcel, un des deux passagers de l’avion de tourisme Morane qui a heurté le toit du restaurant de Vounetz le 19 août 1962 et qui s’est écrasé sur le terre-plein jouxtant la pente abrupte des Banderettes. Un demi-siècle plus tard, il se souvient.

Largage de mille-feuilles
«Mon frère Marcel était chauffeur de taxi à Bulle en ce temps-là, explique René Borcard qui, lui, était chauffeur chez Raboud Combustibles. Il côtoyait de ce fait Paul G. qui, en plus d’être aussi chauffeur de taxi, était moniteur d’auto-école et opérateur au cinéma Lux. Ce Paul était également détenteur d’une licence de pilote, une activité qu’il pratiquait durant ses loisirs. Il recherchait des clients pour effectuer les heures de vol obligatoires auxquelles il était soumis.»
Ce 19 août, les indicateurs météo étant au «beau fixe», les trois hommes se sont rendus à l’aérodrome d’Ecuvillens. Les frères Borcard avaient émis le désir de survoler leur village de Grandvillard ainsi que la région de Motélon où un de leurs oncles et une de leur tantes estivaient. «On voulait leur faire une surprise, sourit aujourd’hui René. L’idée était saugrenue, mais on avait acheté des mille-feuilles et des cornets à la crème dans l’intention de larguer le carton à proximité du chalet. On y avait ajouté un petit mot.»
Retrouvé dans l’épave, ce colis ne manquera pas d’éveiller l’attention des enquêteurs. Interrogé sur ce point, le pilote malchanceux aura cette explication: «J’étais au courant de l’existence de ce paquet, mais, ne voulant pas décevoir mes amis, je les ai laissés faire, sachant qu’en vol on ne peut pas ouvrir la cabine du Morane.»

Les artilleurs à l’apéro
Inaugurés quelques mois auparavant, la télécabine de Charmey et le restaurant de Vounetz constituaient l’attraction touristique du moment. Ce dimanche d’août béni des dieux avait vu dès le début de la matinée converger par dizaines au sommet de la station les membres de la société régionale des artilleurs.
L’assistance avait pris place sur la terrasse fraîchement aménagée. Elle refaisait sans doute le monde et la Mob lorsque approcha, venant de Cerniat, un avion de tourisme. Encore peu nombreuses à l’époque, ces «libellules» faisaient encore se lever tous les regards.
Aux commandes de l’engin, le pilote, si l’on s’en réfère aux conclusions de l’enquête, a dû se sentir… pousser des ailes: «En vol de montée, il s’approche une première fois de la colline de Vounetz, est-il rapporté. Il en fait le tour à gauche à une trentaine de mètres de hauteur, puis repart dans la direction d’où il était venu. Peu après, il revient et, avant d’amorcer le tour du sommet à main droite, il balance les ailes pour répondre au salut des nombreux touristes qui lui font signe.»
Deux virages encore, l’avion passe entre le sommet et la station de la télécabine, puis brusquement s’abat sur la droite. Il descend au-dessus du restaurant, frôle la cheminée et s’écrase sur l’auvent arrière du bâtiment. La roue de proue bute contre un chevron, se détache et tombe dans le pâturage en contrebas, de même que la verrière. Les ailes s’aplatissent sur le toit. La machine bascule en avant et s’écrase sur la terrasse arrière, d’abord sur le nez, puis sur le dos. Il est 11 h 40. Après vingt minutes de vol, c’est le crash.

L’ambulance sans jus
On imagine l’émoi des témoins. Et que dire de celui du petit Gilles, le fils du restaurateur Michel Seydoux, âgé de neuf mois, qui jouait avec un autre enfant dans son parc situé à quelques mètres de l’épave! Des tuiles et autres débris s’écrasent à deux mètres des enfants.
Les secours s’organisent. Le pilote parvient à s’extraire lui-même de la carlingue. Quant aux deux frères Borcard, ils sont dégagés avec difficulté; ils sont dans un piètre état. Par bonheur, le docteur Vaucher, de Broc, se trouve sur les lieux. Il prodigue les premiers soins. Inconscient, René Borcard semble le plus atteint: «A vrai dire, je ne garde aucun souvenir du crash lui-même. Je n’ai retrouvé mes esprits que vingt-quatre heures plus tard.»
Son frère Marcel lui racontera à son réveil les raisons de son alitement dans une chambre de l’Hôpital cantonal, à Fribourg. L’acheminement des deux jeunes hommes n’aura du reste pas été une sinécure: descendus jusqu’à Charmey au moyen de la télécabine de service après avoir été placés sur des brancards, ils ont ensuite été transportés à l’Hôpital cantonal en ambulance. Mais quelle ambulance! «A l’époque, le service d’ambulance était assumé par des garagistes, précise René Borcard. En l’occurrence, c’est le garagiste Dunand, de Bulle, qui a été appelé à mon secours. On m’a rapporté que, lorsque nous descendions Bataille, ce dernier a constaté que son véhicule manquait d’essence. Du coup, il est repassé par Bulle pour faire le plein à la pompe de son garage avant de partir pour Fribourg. Les urgences, ça se gérait bien différemment à l’époque…»
René est arrivé à l’hôpital à 15 h 30, son frère à… 17 h 30. Quant au pilote, qui présentait une grave blessure à un œil, il a été évacué par hélicoptère.
Par miracle, quand bien même précaution fut hâtivement prise de requérir les derniers sacrements auprès du Père Aloys, capucin à Bulle, les trois hommes s’en sont tirés sans blessures trop graves. « En plus d’une commotion, on m’a relevé avec une fissure au bas de la nuque, détaille René Borcard. Mon frère a eu un pied et deux côtes cassés.»

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Le prix de la témérité
A la suite de cet accident, le rapport d’enquête conclura à la responsabilité du pilote: «N’ayant qu’une expérience limitée de la machine, il a fait des circuits à trop faible hauteur autour du restaurant des Dents-Vertes.»

Ce pilote passait effectivement pour un téméraire, comme le précise René Borcard: «Mon frère et moi avions hésité à donner suite à son invitation, car on savait qu’il était capable de coups d’épate. Du reste, on a appris par la suite qu’il avait fait l’objet d’un avertissement une année plus tôt, un inspecteur de vol l’ayant aperçu survolant la ville de Bulle à très basse altitude.» «Cet avion avait volé de façon dangereuse plus bas que le clocher de l’église et que le toit de l’Hôtel du Rallye», lit-on encore dans le rapport d’enquête. JBR